Publié le 10 mai 2012, dans A la Une, Actualités
Procès Erika- Cassation : inquiétude des populations des 400 kms de côtes souillées et solidarité des collectivités.
Réunies vendredi 27 avril dernier sous l’égide de l’Association interrégionale Ouest Littoral Solidaire(AIOLS) à Ploemeur dans le Morbihan (première commune atteinte par les rejets de l’Erika, l’une des plus souillées et le siège du PC Polmar), des élus de toutes tendances politiques et des associations ont lancé un appel et fait entendre un message simple : celui de l’inquiétude des populations des 400 kms de côtes souillées et de la solidarité des collectivités.
En effet, si la Chambre criminelle de la Cour de cassation suit l’avis de l’avocat général, contraire aux réponses apportées par le Tribunal et la Cour aux moyens soulevés par les prévenus dès 2007, requérant la cassation sans renvoi de l’arrêt de la cour d’Appel de Paris le 24 mai prochain, l’incompréhension devant cette injustice sera grande.
Après le temps de l’émotion, voici venu le temps de l’analyse juridique des questions posées et des réponses que le chambre criminelle pourra apporter pour confirmer les précédentes décisions lors d’une conférence de presse le 9 mai 2012 à Paris en présence de Jean-Yves Le Drian et Jacques Auxiette, respectivement présidents des Régions Bretagne et Pays de la Loire et de Maîtres Mignard, Spinosi et Lepage, avocats des parties civiles.
Pour mémoire, l’avocat général s’est prononcé en faveur d’une triple cassation sur la base de 3 moyens :
• le plus critiquable selon les parties civiles : les juridictions pénales françaises ne seraient pas compétentes compte-tenu du lieu de survenance du naufrage (dans la Zone Économique Exclusive) et en tout état de cause en ce que la loi française du 5 juillet 1983 ne serait pas conforme aux conventions internationales. De fait, toute poursuite pénale serait abandonnée.
• si la compétence des tribunaux français devait être reconnue, seule la juridiction civile pouvait être saisie, en vertu des conventions internationales, pour accorder une indemnisation civile des préjudices subis.
• la réparation du préjudice écologique ne pouvait être obtenue du fait de son exclusion des préjudices prévus par les conventions internationales.
La cassation, si elle intervenait sur la question de la responsabilité pénale, rendrait impossible toute autre poursuite judiciaire notamment à Malte, État du pavillon, du fait de la prescription.
La position des parties civiles en matière de compétence des juridictions pénales
Pour Jean-Pierre Mignard, avocat des parties civiles, « l’avis de l’avocat général nous surprend énormément car les arguments avancés ont d’ores et déjà fait l’objet de longs débats et de multiples expertises devant le Tribunal de Paris et la Cour d’appel, pour être finalement rejetés les deux fois.»
La Convention de Montego Bay de 1982 poursuit le double objectif de liberté de navigation et de protection de la qualité des mers.
« Il s’agit d’une convention de paix, très moderne : elle donne obligations aux états côtiers et aux états du pavillon, de prendre des mesures non seulement en matière de navigabilité mais aussi et surtout de protection des mers » explique Jean-Pierre Mignard.
« Nous sommes pour une lecture dynamique de ces textes et non dogmatique, afin de rechercher la volonté du législateur international ».
Par ailleurs, aucun état ne s’est plaint d’une absence de conformité de la loi pénale française aux conventions,internationales or, les gardiens de l’application des traités internationaux sont surtout les états.
Dans la convention de Montego Bay, il est indiqué que si l’état de pavillon ne se manifeste pas dans les 6 mois pour reprendre la procédure engagée par l’état côtier, celui-ci peut la poursuivre.
L’Etat maltais n’a engagé depuis décembre 1999 aucune poursuite et s’est encore moins opposé aux poursuites engagées par les juridictions françaises.
L’Etat français avait donc toute légitimité pour engager des poursuites pénales visant à déterminer les personnes responsables de la marée noire faisant suite au naufrage de l’Erika.
L’interprétation de l’avocat général nie le droit des états côtiers de se protéger des pollutions qui souilleraient leur territoire.
En matière de condamnation pénale de la société TOTAL, propriétaire de la cargaison
Historiquement, après les naufrages du Torrey Canyon et de l’Amocco Cadiz, les compagnies pétrolières ont décidé de vendre leur flotte afin de distinguer clairement ceux qui transportent et les propriétaires de la cargaison.
Le but recherché était d’éviter la mise en cause de la responsabilité des compagnies pétrolières en cas de survenance d’un naufrage.
Tout comme la loi américaine, la loi pénale française du 5 juillet 1983 est pourtant venue poser des critères permettant d’aller rechercher au-delà des apparences les responsables de la pollution. L’article 8 de la loi de 1983 permet de sanctionner toute personne exerçant en fait et en droit un pouvoir de contrôle ou de direction sur la gestion ou la marche du navire.
Pour la Cour d’Appel, la responsabilité pénale de la société TOTAL était caractérisée en raison des procédures de contrôle qu’elle avait mises en place (procédure dite de vetting), des instructions au voyage qu’elle avait adressées au capitaine et de l’intervention au moment de la tempête d’un commandant à la retraite.
Pour les avocats, « Total, c’est le choix de la vétusté et des risques. Dans ce dossier, le capitaine est finalement le seul maitre à bord … après Total ». Sur la base de ces éléments, la cour d’appel a qualifié,
à tort selon les parties civiles, Total d’affréteur.
En matière de responsabilité civile
« Ce volet est très important » explique Corinne Lepage : l’avocat général s’appuie sur la convention internationale dite CLC (datant de 1963 et revue en 1992) sur l’indemnisation des préjudices résultant d’une pollution par hydrocarbures. Cette convention énonce que l’affréteur ne peut être condamné hors le fondement et les procédures définies spécialement par cette dernière sauf faute téméraire.
L’avocat général estime ainsi que seules les juridictions civiles et non pénales pouvaient statuer sur les indemnités à accorder. Au contraire, selon les avocats des parties civiles, le juge pénal compétent en application de la Convention de Montego Bay, pouvait parfaitement condamner les prévenus sur le fondement général de la responsabilité civile.
En matière de préjudice écologique
L’avocat général estime que le préjudice écologique n’est pas prévu par la convention CLC.
Or, la Cour d’appel n’a pas indemnisé les collectivités au titre d’un préjudice écologique pur mais d’un préjudice moral de nature écologique lié au traumatisme et à la souffrance des habitants des collectivités locales qui ont vu leur patrimoine naturel atteint gravement par la pollution.
En conclusions
Pour les avocats, « il ne faut pas distinguer artificiellement le lieu du naufrage et le lieu de la pollution ; le raisonnement de l’avocat général est dogmatique car l’infraction n’est pas seulement là où a lieu le naufrage mais également où il y a dommage : on fait aujourd’hui appel au bon sens, à la saine, droite raison de la chambre criminelle….. et ce n’est pas parce qu’il y a eu indemnités financières qu’il doit y avoir absolution pénale».
A l’heure de « sonner le tocsin », Jean-Yves Le Drian et Jacques Auxiette, les deux présidents de Région, ont rappelé que les indemnisations perçues dans le cadre des conventions d’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel n’ont pas fait l’objet de transaction sur les montant à percevoir. « Il n’y aura pas de remise en cause de ces indemnisations car le protocole est définitif et vaut chose jugée entre les parties ».
Ils ont une nouvelle fois exprimé leur inquiétude et leur stupéfaction : « Nous ne voudrions pas que derrière cette demande de l’avocat général, ce soit une sorte de troc qui soit suggéré : ce n’est pas protocole d’indemnisation contre impunité pénale. Ce serait en effet, pour tous les états côtiers, d’Europe notamment qui sont très attentifs à cette décision à venir, un mauvais signal, une
lecture restrictive et extrêmement dangereuse, pour tous ».
La Cour suprême française va donc en cassation juger de la régularité juridique et uniquement les questions de droit abordées devant la Cour d’appel, et non les faits.
La procédure est essentiellement écrite : plusieurs milliers de pages ont déjà été échangées entre les parties.
Présentation des observations lors de l’audience publique le 24 mai à 9h30 devant la chambre criminelle.
Pour en savoir plus, retrouver documents, communiqués, interviews, signer l’appel, etc…rendez-vous sur : www.proces-erika.org