Publié le 7 novembre 2010, dans Actualités, Histoire et Littérature
Hommages – Lettre de Nicole Van de Kerchove à Bernard Moitessier
Pianiste et navigatrice française, Nicole Van de Kerchove est née le 10 septembre 1945 et décédée le 21 février 2008 en Patagonie.
Auteur de plusieurs livres relatant ses voyages « Autre chose » est son dernier livre qui parait aux éditions MDV Maîtres du Vent dont nous reparlerons.
Dans mes archives il y a , précieusement conservée, cette lettre que Nicole m’avait adressée, et dans laquelle elle parlait avec tant d’amitié et de tendres souvenirs de Bernard Moitessier, un Grand Marin qui a choisi de vivre la mer autrement, avec une philosophie tellement éloignée de la course. Alors qu’il participait au premier tour du monde en solitaire et se trouvait en tête de la course, il avait décidé de ne pas s’arrêter et de continuer de jouer avec la mer.
De Nicole Van de Kerchove
« Bonjour Petit Bernard,
c’est bon de reprendre les vieux mots gentils pour te parler.
Je sais: dans un jardin de Bretagne repose un peu de toi que la vie nous a enlevé. Si peu, vraiment, comparé à cette immense présence que tu nous a laissée.On va ressortir les vieux souvenirs , comme nous le faisions hier, devant la cheminée de Kernabat ou celle de Belle Fontaine.
C’était au printemps 1967. Une annonce dans « Bateaux » m’avait emmenée à m’inscrire en école de voile sur Joshua, portée par deux mots magiques « navigation astronomique ».Joshua était plus qu’un bateau, il était ton reflet. Tes rêves, tes voyages y étaient bien rangés, ceux passés et ceux à venir. Poser le pied sur Joshua était déjà un appareillage.Un peu perdue dans la petite foule que nous étions (huit!) à poser notre sac à bord, tu as immédiatement mis tout le monde le nez dans les cahiers « pour en finir tout de suite » avec la navigation astro.Nous écrivions tout, avec des petits croquis pour ne pas se tromper.
« Alors, dans les pages jaunes, tu trouves les minutes et les secondes… »On n’entendait plus que le bruit des pages tournées. Personne ne disait rien. Personne n’y comprenait rien non plus. Surtout qu’à cette époque, nous avions droit aux tables de Dieumegarde et de Bataille !
Bernard riait doucement.
« Ça ne fait rien! Ecris, écris. Au moins, avec ça tu sais faire le point. Comprendre tu verras, vieux, ça viendra tout seul après… »
C’est vrai. En une demie-heure, nous avions recopié la « recette » du point astro. Soleil, étoiles et tout. Nous étions en possession de la formule magique, la porte du Grand Départ, bien serrée dans nos cahiers.
Je l’ai toujours, juste un rien modernisées par des tables un peu plus simples, les HO 249, mais la recette tient bon.
La Méditerranée s’amusait à nous faire essayer toutes ses brises, Joshua évoluait docilement sous nos mains, Bernard était toujours là. Il passait toute sa science et la multitude de ses découvertes avec une incroyable manière de faire comme si nous étions ses copains navigateurs et que nous nous échangions nos petits trucs.
Nous muets d’admiration quand il rentrait à la voile dans les petits ports encombrés, nous offrant le luxe de commenter la manœuvre et de nous y faire participer.
Le soir, dans les ports, nous étions une joyeuse bande de copains, ses copains, et pas du tout des stagiaires parmi les dizaines d’autres de la saison.
Au bout d’une semaine, tout y était. Le point avec la recette, mais aussi le maniement du sextant, le suif-céruse dans les ridoirs, « Amila », le petit palan qui faisait tout, même remplacer les winches, la cuisson du riz, les renforts dans les voiles, le nom des étoiles, la règle Cras, l’amitié.
Un beau cadeau Bernard,
Je l’ai gardé pour toujours.
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